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Courir 160 km en moins de 24 h…

En auto ou même en vélo, une distance de 160 km ne représente pas nécessairement ce qu’on pourrait appeler un grand défi. Par contre, en course à pied, très peu de coureurs osent se lancer sur une telle distance… Pourtant, chaque année depuis 24 ans se tient, dans le sud du Vermont, un ultramarathon appelé Vermont…

En auto ou même en vélo, une distance de 160 km ne représente pas nécessairement ce qu’on pourrait appeler un grand défi. Par contre, en course à pied, très peu de coureurs osent se lancer sur une telle distance…

Pourtant, chaque année depuis 24 ans se tient, dans le sud du Vermont, un ultramarathon appelé Vermont 100. C’est donc 160 km (100 milles) que les participants doivent courir, et ce, dans un délai d’au plus 30 heures.

L’année dernière, j’avais accompagné mon ami Patrice Godin dans sa course, c’est-à-dire que je l’avais encouragé durant toute cette longue journée et j’avais couru avec lui quelques milles à la fin de l’épreuve. Vous pouvez voir ici une vidéo que j’avais tournée à cette occasion.

Cette année, j’étais sur la ligne de départ après des mois d’entraînement et avec l’appréhension normale d’un plongeon dans l’inconnu… Voici donc mon compte rendu de ces 24 heures assez intenses.

Vendredi, j’installe ma tente au camping, puis Vincent (un ami de Magog aussi inscrit à l’épreuve) et moi nous rendons à l’inscription. Après l’habituelle remise du dossard, c’est le moins habituel contrôle médical. Je ne me sens pas trop nerveux, mes signes vitaux sont ok. À la question à savoir si j’ai une condition médicale que le personnel médical devrait connaître, je répond que j’ai un comportement obsessif avec la course, mais que j’ai appris à vivre ok avec ça! Après, je retrouve Pat et plusieurs autres coureurs, coureuses, pacers et crew pour le souper dans la grande tente.

Mon équipe de support (crew) devait arriver en soirée. Je prépare méthodiquement tout ce que je porterai et tout ce que je veux que mes amis, Junior, Luc et Dan, apportent d’un point de ravitaillement à l’autre.

Juste avant la tombée de la nuit, j’aperçois au loin ce qui ressemble fort au camion de Dan… Ah! il semble que Dan a fait lettrer son véhicule. Je me dis que c’est bien compréhensible puisqu’il a un garage… Alors qu’il approche lentement, je m’attends à lire « Chartier auto »… mais ça ne ressemble pas à… quoi c’est… MON NOM!!!!! Sans mot durant quelques longues secondes, puis des rires incontrôlables! Je savais que ces gars-là feraient un bon team, mais là! Je savais aussi qu’ils ne mettraient rien de côté si ça pouvait donner un petit plus à cette course plus grande que nature. Lettré professionnellement sur quatre côtés, le camion donne l’impression qu’un coureur élite, parfaitement inconnu, est sur place pour gagner… Les regards croisés sont nombreux; ce véhicule ne passe pas inaperçu! Le week-end va être rigolo!

Trois heures de sommeil et ma montre sonne. Je suis un des premiers à bouger autour. Je me permets de commencer cette journée bien mollo en buvant un bon café. Pour le reste, tout est prêt, alors en un rien de temps, je rejoins mes équipiers pour qu’on se rende ensuite au départ, qui a lieu à 4 h. On rit et je me sens bien… juste assez confiant que mes devoirs ont été faits. Tout ce que je sais de la course longue distance et des trucs d’endurance, j’ai tenté de les appliquer dans ma préparation. Ça ne m’assure pas la réussite, mais ça renforce ma confiance de faire une bonne course.

Le départ est donné comme prévu à 4 h du matin dans une ambiance survoltée. On crie, tout le monde est content de se lancer dans cette course qui durera entre 15 et 30 h… Je décide de faire la première heure avec mon amie Marie-Pier. Elle court un peu moins vite que moi, alors ça me permet de ne pas partir trop vite.

Après un peu plus d’une heure de course, je me lance dans ce que je veux être « ma journée ». J’accélère très graduellement et commence à dépasser pas mal de monde, la majorité que je ne reverrai pas. Mon objectif est de me rendre à Pretty house (38 km) sans avoir eu l’impression de forcer et j’y arrive très bien. Quelques centaines de mètres avant Pretty house, une dame me crie : « OH 51 you’re Michel, I just seen your friends and the truck, amazing job! » OK les boys sont là à n’en pas douter! Je ris tout seul avant même de les voir…

J’informe mes équipiers que ça se passe très bien de mon côté. Eux, comme prévu, ont mis à ma disposition tout ce que j’ai pensé dont je pourrais avoir envie. Ils m’informent que Pat n’est pas loin devant avec environ 5 minutes d’avance alors je repars en disant que je vais aller jaser avec lui. Pour éviter de faire face à l’impensable 160 km, je découpe le parcours en petites sections correspondant aux distances entre chaque point de ravitaillement. Ça donne des sections de distances variant entre 2,5 et 10 km.

Je cours à mon rythme, discutant de temps à autre avec quelques coureurs. Des gens de partout sont ici pour la même raison que moi et la plupart n’en sont pas à leur premier 100 milles. Je reste concentré sur ma technique autant que possible et, à la fois, le temps et la distance passent rapidement. Je dépasse mon ami Brian (un coureur du New Hampshire) qui me donne deux conseils : ne pas courir en montant si je sens que je devrais marcher et marcher plus vite que les autres quand je marche…

À mon premier passage à Camp Ten Bear (76 km), je me sens encore bien. Près de deux marathons sont derrière moi et mes jambes tiennent bon. Ma tête aussi et je me permets de blaguer un peu avec le médecin qui vérifie, à ma demande, l’ampoule sous le pied qui commence à me déranger. Lorsque je m’aperçois que son pansement ne colle pas bien à ma peau, je lui dis qu’il pourrait peut-être le coudre… Il me répond qu’il a aussi ce qu’il faut pour le brocher! Et il s’étire pour attraper une brocheuse de construction! Le moral est encore très bon. À chaque occasion, mes équipiers sont là et ne ménagent rien pour rendre mes « arrêts aux puits » efficaces et joyeux.

Avant la course, j’ai informé Luc, Junior et Dan sur ma vision personnelle de cette épreuve plus mentale que physique. Mon objectif : faire les 100 milles sous les 24 h et personne ne me parle d’abandon même si j’ai l’air de souffrir généreusement. Il y a des contrôles médicaux et si quelqu’un doit décider de mon abandon à cette course, car elle mets en péril ma santé, ce sera eux.

À quelques reprises, mes équipiers m’informent que Pat est juste en avant de moi, mais jamais je ne suis arrivé à l’apercevoir… À un moment, probablement alors que j’ai ralenti, plus personne ne me parlait de Pat… Je n’ai pas posé de question, mais je me doutais bien qu’il était loin devant et que personne ne voulait me décourager avec ça. Pour ma part, je souhaitais simplement que tous deux, on arrive au bout de tout ça avec le sentiment d’avoir bien fait.

Aux environs de 97 km, j’ai commencé à avoir des pensées d’abandon. Rien de bien surprenant, mais ça s’est présenté d’abord doucement puis de plus en plus insistant! Je dépassais toutes mes références passées en ce qui a trait à « tenir le coup ». Je suis d’abord un gars de montagne puis un coureur et ici, ça s’est mis à paraître… Je ne voyais aucune raison de continuer! En montagne, lorsque je pousse fort et que je me retrouve fatigué et loin de tout, je n’ai pas d’autre choix que de m’accrocher et de continuer d’avancer. C’est une question de survie. Là, je suis tout à fait à l’opposé. Je cours et je marche sur le bord d’une route et si je décide d’arrêter, en quelques minutes je serai bien assis dans un pick-up! Ça me semble tout à coup complètement ridicule de continuer et j’ai vraiment besoin de me transposer à mes aventures en montagne pour ne pas abandonner. Une autre motivation me fait aussi garder le cap : mes équipiers. Ces trois gars-là ont tout fait ce qu’ils pouvaient humainement faire pour m’aider dans cette quête de l’inutile et en plus, ce sont des coureurs qui veulent faire un bout avec moi dans les 50 derniers km. Abandonner serait un peu comme les laisser tomber, ce qui est encore plus au-dessus de mes forces que de continuer!

J’approche le 110e km avec une joie certaine. D’une part, le soleil se couchera bientôt et la température descendra un peu. Je n’ai pas trop souffert de la chaleur, car la presque totalité du parcours est à l’ombre de grands arbres, mais je sais que le froid est mon allié. D’autre part, c’est à partir de là que je peux compter sur mes pacers. Pour les 50 derniers km, quelqu’un courra avec moi et je vois ça comme une bénédiction après tous ces kilomètres seul dans ma tête.

Le premier à faire un bout avec moi est Junior; nous parcourons 11 km assez efficacement en jasant et en écoutant les histoires toujours plus drôles les unes que les autres que seul Junior sait raconter avec autant d’habileté… À un moment, on passe à côté d’un coureur immobile au bord du sentier, la tête entre les mains. De toute évidence, il est dans un « mur » et ce mur est épais… On lui demande en anglais si ça va et tout ce qu’on reçoit comme réponse est un grognement incompréhensible. On continue et Junior, avec sa rapide répartie, m’informe que malheureusement, il ne parle pas hongrois…  Depuis un moment, j’ai l’impression que mon cerveau fonctionne au ralenti, mais je la trouve bien drôle celle-là. Ce sera le premier de quelques dépassements de coureurs à l’air absolument « fini », mais qui retrouveront miraculeusement la force de terminer ces 160 km. Une partie de cette section parcourue avec Junior se trouve dans des sentiers, ce que je préfère, et de loin, aux sections sur route de gravier. Depuis le début de la journée, mes trois équipiers ont insisté pour que je prenne régulièrement des capsules d’électrolytes pour compenser la perte de sels minéraux par la transpiration. À partir du kilomètre 110, ils deviennent presque obsédés par ma consommation de ces capsules au point où j’ai l’impression qu’ils ont des parts dans la compagnie Salt sticks !

Lorsqu’on arrive à Spirit of 76 (122 km), c’est Luc qui prend le relais. Je savais que cette section était redoutable, car l’année précédente, Pat avait trouvé ce bout-là particulièrement difficile et long. De plus, je ne peux cacher que le kilomètrage commence à se faire sentir fortement. Mes périodes de marche sont de plus en plus longues comparativement aux sections courues et dès que je sors des sentiers pour joindre les sections sur les routes de campagne, mon niveau d’énergie semble se vider instantanément. J’en ai carrément marre de ces routes, je veux courir dans des sentiers…

Tout au long de cette journée, mes équipiers et moi faisions des calculs et des projections; mon arrivée sous les 24 h semblait presque assurée puisque j’étais assez confortablement sous les pace d’un finish autour de 22 h… Mais c’était bien loin de la réalité de ma fin de course…

Alors que Luc ne cesse de m’encourager et qu’il me semble que je ne cesse de ralentir, mes calculs sont de plus en plus pessimistes. Plus j’avance et plus il me semble que la barre des 24 h sera difficile à atteindre. J’ai l’impression de ne pas avancer et mon moral tombe au plus bas. J’ai le « mur » dans la face et il ne veut pas se tasser. Au début de cette journée, je séparais le parcours en petites sections de quelques km mais maintenant, Luc doit les fractionner en des sections de quelques pas pour que je sois capable d’envisager la suite : « Allez Michel, on se rend au prochain bâton lumineux qui marque le parcours ». J’avertis Luc de ne pas me laisser me coucher quand j’arriverai à Bill’s (143 km) où je sais qu’il y a des lits de camp pour ceux qui veulent se reposer un peu avant de repartir. Si je me couche, je sais que je ne me relèverai pas. À maintes occasions, Luc me rappelle de rester droit et de lever la tête, alors que j’ai le menton collé sur la poitrine et que ma lampe frontale éclaire mes pieds…

Après un calvaire que, malheureusement, j’ai fait vivre à Luc, nous arrivons à la grange au km 143 et je dois m’assoir pour « gérer » mon ampoule. Le pansement s’est déplacé et plutôt que de diminuer la pression, il l’intensifie. Je demande aux bénévoles présentes, que je crois être du personnel médical, si elles veulent « péter » cette ampoule une fois pour toutes. Elles refusent alors je les avise que je le ferai moi-même. Dan m’apporte ma trousse et en un rien de temps, j’ai désinfecté le tout, pété l’ampoule et recouvert tout ça d’un pansement qui restera en place jusqu’à la fin. Dan me dira plus tard que c’était des bénévoles, ce qui explique leurs visages étonnés en me voyant « travailler » sur mes pieds dans ce contexte. Des lits de camp sont derrière moi, mais il est hors de question que je les utilise… Luc, Junior et Dan ne me laissent pas dormir et, par tous les moyens, tentent de me garder dans la course. Je me sens comme un boxeur dans son coin, complètement défiguré après plusieurs rounds à se faire frapper joyeusement et dont les entraîneurs lui disent que tout va bien en lui mettant un peu de glace sur les yeux…

Dan repart avec moi et nous nous enfonçons cette fois dans un sentier. Chaque fois, il me faut quelques minutes avant de pouvoir reprendre un pas qui s’apparente à de la course, mais le fait de me retrouver dans un sentier me redonne une dose d’énergie. Plutôt que de penser à ma fatigue et aux douleurs omniprésentes dans les muscles de mes jambes, je refais inlassablement des calculs basés sur les milles restants et ma vitesse que je peux analyser avec la montre GPS empruntée à Junior. Chaque fois, il ne m’apparaît pas impossible de terminer sous les 24 h, mais cela m’apparaît de plus en plus improbable… Ces 11 km ont été ponctués de sections relativement rapides et d’autres où je suppliais presque Dan de me laisser me reposer et de cesser de me « tirer » vers l’avant. Au ravitaillement de 149 km, j’ai presque réussi à m’étendre sur un muret de pierre recouvert d’épines de pins, un lit parfait me semblait-il… mais Dan veillait sur moi; il ne m’a pas laissé m’étendre et ainsi perdre de précieuses minutes difficilement gagnées.

À l’approche de Polly’s (154 km), mes trois amis font tout le nécessaire pour que je n’aie pas à m’arrêter. En marchant, je dépasse ainsi le point de ravitaillement, toujours accompagné par Dan qui jamais ne me fera douter de mes capacités à terminer cette course même si, je le sais bien, j’ai l’air d’un mort vivant marchant dans la nuit! Junior nous rejoint 100 mètres plus loin et c’est avec lui que j’ai couru les derniers kilomètres nous séparant du fil d’arrivée.

Il me semble que je ne pourrai plus courir, juste marcher c’est déjà pas mal… Comme un coup de vent, Mark (un coureur de Halifax), le sourire aux lèvres, nous dépasse comme s’il courait un 5 km. Je suis dans une totale incompréhension de ce qui vient de se passer. Plus tôt, je l’avais dépassé alors qu’il était couché sur la route, totalement dévasté et incapable de parler. J’aurais misé ma future boucle de ceinture que ce gars-là aurait fini sa course dans un pick-up. Mais non, il est carrément ressuscité et nous a salués joyeusement en galopant vers le fil d’arrivée. J’étais sous le choc, mais courir me semblait encore surhumain jusqu’au moment où arrivent, derrière nous, Vincent et Daniel Grimard, son pacer. Je suis très surpris de revoir Vincent que j’avais dépassé au kilomètre 30, alors qu’il souffrait de sévères crampes. Les voir arriver avec encore la détermination de finir sous les 24 h a été la poussée qui me manquait. J’ai dit à Junior de m’emmener au fil d’arrivée au plus vite, pour que tout ça finisse un moment donné! Avec Vincent et Daniel, on convient de s’encourager mutuellement et de ne pas se lâcher pour finir ensemble avant que le cadran marque les 24 h de course.

Junior a pris le leadership de découper les kilomètres restants en petites sections auxquelles il associait des temps de passages qui nous permettraient de finir sous les 24 h. Cependant, pour ça, nous devions courir, car marcher ne suffisait plus. Le menton à nouveau appuyé sur la poitrine, je me lançais dans une épreuve de force que je croyais avoir perdu à peine quelques minutes plus tôt. Les faux-plats montants que j’avais marchés pendant plusieurs kilomètres précédents devenaient « courables » et l’effet d’entraînement de ces quatre coureurs déterminés a fait en sorte que même au moment où Junior nous a dit que l’on pouvait marcher une petite section, car on était dans les temps, on a continué à courir. Il semblait évident à ce moment-là que plus rien ne nous arrêterait tant que nous n’aurions pas tous atteint l’arrivée de cette épreuve de 100 milles.
 
Vincent et moi avons donc eu le bonheur de franchir ensemble la ligne d’arrivée. Dan et Luc, malgré l’optimisme dont ils ont fait preuve toute la journée, ont eu tout un choc en nous voyant arriver in extremis après 23 h 50 d’une balade pas facile. Au dire de Mark, arrivé juste avant nous, nous étions tellement démonstratifs que nous avions l’air d’une équipe qui vient de gagner un championnat! Mais c’était ça aussi : une victoire d’équipe!

Le Vermont 100 fêtera ses 25 ans l’an prochain. Il s’agit de l’une des quatre plus anciennes courses de 100 milles aux États-Unis.

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