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Que risquent vraiment les meurtriers canadiens ?

L'un est un tueur de masse, l'autre un tueur en série. Récemment, Alexandre Bissonnette et Bruce McArthur ont reçu des peines très attendues puisqu'elles pouvaient complètement chambouler le portrait du système judiciaire canadien. Or, force est d'admettre que lorsque des causes aussi médiatisées connaissent leur aboutissement, le public ne comprend pas bien ce qui est imposé aux meurtriers. Voici donc quelques explications afin de tenter d'éclaircir ce à quoi sont réellement condamnés les personnes reconnues coupables de meurtre au Canada.

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Libération conditionnelle ou le chiffre qui porte à confusion

Au Canada, lorsque vous êtes reconnu coupable de meurtre, vous êtes automatiquement condamné à la prison à vie ou, dans le jargon judiciaire, à la prison à perpétuité. Cela signifie que vous risquez de passer le reste de votre vie derrière les barreaux, que vous soyez un jeune adulte ou un vieillard. Ainsi, qu'on parle d'Alexandre Bissonnette, Bruce McArthur, Guy Turcotte, Luka Rocco Magnotta, Robert Pickton ou William Fyfe, la justice ne fait aucune différence: vous avez tué, vous allez en prison à vie.

Là où le débat fait rage en ce moment est au niveau de la possibilité d'avoir une libération conditionnelle. Lorsqu'il s'agit d'un meurtre au deuxième degré ou d'un homicide involontaire, un juge déterminera généralement que la personne coupable ne pourra demander une libération conditionnelle avant une période variant entre 10 et 25 ans. Lorsqu'il s'agit d'un meurtre au premier degré (meurtre prémédité), selon le Code criminel, vous ne pourrez demander une libération conditionnelle avant 25 ans de détention.

La mauvaise interprétation des peines vient justement de ces chiffres. Lorsque vous voyez un titre annonçant qu'un meurtrier devra passer 25 ans en prison, n'allez pas croire qu'une peine de 25 ans de détention a été prononcée contre cette personne. En fait, il s'agit d'une peine minimale de 25 ans de détention et non d'une peine de prison qui viendra à échéance dans 25 ans. Autrement dit, le chiffre que vous voyez bien souvent en gros titre dans les médias pour une cause de meurtre est le nombre d'années minimal que la personne devra purger derrière les barreaux et non la peine totale. Théoriquement, la durée de la peine totale n'a pas de limite puisque la personne est condamnée à rester en prison jusqu'à la fin de ses jours.

La libération conditionnelle, un automatisme ?

Admettons qu'un accusé ait été reconnu coupable de meurtre au premier degré. Si vous m'avez suivi, alors vous savez désormais qu'il sera condamné à la prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans. Or, une fois ces 25 années écoulées, retrouvera-t-il automatiquement la liberté ? Réponse: non, absolument pas.

Après le temps de détention minimal purgé, certains détenus feront une demande de libération conditionnelle tandis que d'autres ne le feront pas. Pourquoi ? Les raisons varient. Des détenus vous répondront que cela sera inutile, qu'ils savent que leur demande sera rejetée par la Commission des libérations conditionnelles. D'autres vous mentionneront qu'après autant de temps emprisonné, la liberté leur fait peur. Certains pourront aussi vous dire qu'ils n'ont aucune idée de ce qu'ils feront une fois libérés tant ils n'ont personne ni de ressource.

Ceci dit, les détenus effectuant une demande de libération conditionnelle n'ont aucune garantie qu'elle sera acceptée. Les commissaires doivent analyser chaque demande et tenir en compte non seulement la version du détenu, mais aussi (si elles le désirent) le discours des familles. Puis, une fois tout cela fait, ils ont la responsabilité de décider si le plan de sortie du détenu est réaliste et s'il représentera un danger pour la société une fois à l'extérieur. Si la demande est refusée, le détenu ne pourra en faire une autre avant au moins une autre année.

Le cynisme de la population amène à croire que chaque demande de libération conditionnelle est acceptée. L'impression de sentences bonbons et d'un système davantage préoccupé par les criminels que les victimes pousse les gens à penser que même si vous tuez, vous serez automatiquement libéré après avoir purgé votre temps minimal. Or, ce n'est pas le cas.

Prenez l'exemple de Gilles Pimparé, l'un des deux responsables d'un double homicide crapuleux sur le Pont Jacques-Cartier en 1979. Au fil des ans, Pimparé a demandé à huit reprises d'être libéré sous conditions. Toutes lui ont été refusées. Le meurtrier, déclaré psychopathe, est toujours en détention et purgera cette année sa quarantième année de prison. On est bien au-delà de la peine minimale de prison qui lui fut imposée et pourtant, rien n'indique que Pimparé sortira de prison sous peu, voire même avant sa mort.

Pourquoi ce débat si c'est si simple ?

Le système de justice canadien est plus simple que, par exemple, celui de nos voisins américains. Au Sud, les peines minimales de prison peuvent atteindre des chiffres aussi disproportionnés qu'indécents. On ne parle plus de 25 ans aux États-Unis, mais parfois de plusieurs centaines d'années de détention pour un individu avant de pouvoir demander une libération conditionnelle. Non seulement est-ce inefficace comme méthode de dissuasion, mais ça en revient à condamner quelqu'un à mort derrière des barreaux. À ce que je sache, personne ne vit 300 ans.

Or, notre système étant axé sur la réhabilitation, on avait non seulement supprimé la peine de mort, mais on avait aussi fixé un nombre d'années clair avant qu'un meurtrier puisse demander une libération conditionnelle. Mais cela, c'était avant l'ère de Stephen Harper. En effet, le gouvernement conservateur de l'époque a ouvert le Code criminel afin que les juges puissent jouer sur le concept des peines concurrentes et consécutives dans les cas de crimes graves comme les homicides. Et c'est là où le travail des juges s'est complexifié.

Reprenons le cas d'Alexandre Bissonnette. Auparavant, il aurait été condamné à la prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans puisqu'il a plaidé coupable à six chefs d'accusation pour meurtres prémédités. Même s'il a fait six victimes, le juge l'aurait condamné à six peines de 25 ans concurrentes et non consécutives.

Or, depuis les modifications du gouvernement de Stephen Harper, le juge a la liberté de faire de ces peines des peines concurrentes ou consécutives. C'est pourquoi, avant la sentence, les médias parlaient d'une peine minimale de 25 ans (les six peines auraient été concurrentes), 150 ans (les peines auraient été consécutives) ou d'un nombre entre les deux. Le jugement allait être historique puisque cette modification des peines concurrentes ou consécutives est relativement nouvelle et qu'il n'y a pas beaucoup de précédents à ce sujet. En bout de ligne, le juge Huot a condamné Alexandre Bissonnette à 40 ans de prison avant de pouvoir demander une libération conditionnelle après une lecture de plus de six heures d'un jugement totalisant 246 pages !

Cependant, maintenant que vous avez lu cette chronique, si jamais vous entendez quelqu'un s'époumoner à l'effet que la peine d'Alexandre Bissonnette est trop clémente, rappelez-lui que le meurtrier de la Mosquée de Québec a été condamné à la peine la plus sévère au pays: la prison à vie, prison dont, comme plusieurs autres meurtriers au pays, il risque d'ailleurs de ne jamais ressortir.

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