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Le Québec : au royaume du sacre!

Il ne fait aucun doute, le débat sur la Charte de la laïcité ne risque pas d'ébranler cette tradition religieuse québécoise de sitôt. Le sacre, dans notre parler québécois profond, est l'une des choses qui se transmettent le plus rapidement aux immigrants. Que l'on fasse partie de l'élite ou de la classe moyenne, personne n'est à l'abri d'un bon gros sacre libérateur. Décortiquons le fascinant monde du sacre et du juron.

De tout ce qui distingue les Québécois et autres Canadiens français en tant que francophones dans le monde, ce qui frappe le plus, après l’accent, c’est cet usage immodéré de sacres et de jurons. On aurait tendance à croire qu’au temps de nos ancêtres, vu qu’ils étaient très pieux et que le clergé était tout-puissant, le sacre n’existait pas. Eh bien non! Le sacre serait arrivé en bateau en même temps que les colons. Bien sûr, les sacres ont évolué, se sont complexifiés et ont atteint un niveau de raffinement insoupçonnable pour l’époque.

Des mots d’église

Évidemment, tout le monde a remarqué que le sacre, comme son nom l’indique, fait référence au sacré. Mais si on fouille davantage, on se rend compte que la plupart des sacres font référence à l’eucharistie ou, pour ceux à qui ça ne dit rien, la communion. Ainsi, l’hostie, que l’on conserve dans le ciboire, est déposée dans le tabernacle. Le calice sert, quant à lui, à contenir le vin de messe… Ça, c’était le bon usage des mots sacrés! On croit que ce serait dû au fait que des Huguenots (ou protestants français) seraient venus en Nouvelle-France au tout début de la colonie avec Champlain (même lui, on ne sait pas s’il était Huguenot!). Ceux-ci considéraient la communion comme un sacrilège et auraient répandu le mauvais usage des mots sacrés. Les sacres sont devenus, avec le temps, des moyens d’exprimer une certaine défiance, son indépendance d’esprit face à la toute-puissante église catholique. Ils se sont répandus à la fin du Régime français et au début du Régime britannique au XIXe siècle. On connaît la suite…

Une polyvalence à toute épreuve!

Les francophones d’Amérique du Nord (Québécois, Franco-Ontariens, Acadiens, Franco-Américains, Franco-Manitobains, etc.) connaissent toutes les possibilités qu’offrent les sacres dans le parler quotidien. Bien qu’ils soient utilisés pour exprimer la colère, la surprise ou d’autres sentiments forts, les sacres sont utilisés à toutes les sauces et sous toutes sortes de formes, aussi originales qu’étonnantes. La nature polymorphique du sacre fait qu’on peut l’utiliser comme substantif (viens icitte mon p’tit crisse!), comme qualificatif (câlisse que t’es niaiseux!), comme verbe (je vais te crisser la volée!) ou comme adverbe (y fait crissement beau!). On peut aussi faire des combinaisons de sacres qui vont augmenter l’intensité de l’énoncé (crisse de tabarnak que j’ai mal!).

Un linguiste russe, M. Koulakov, s’est intéressé au phénomène du sacre chez nous et il a dit être impressionné par la plasticité de ces sacres religieux dans notre langage. Il affirme : « Avec un nombre limité de gros mots, les Québécois ont créé un nombre infini de sacres. » Bien entendu, la peur d’être puni ou la bienséance a fait que l’on a aussi développé des euphémismes de tous ces sacres. Ainsi, on peut dire sans reproche « tabarouette » au lieu de « tabarnak », « cibole » et « cibonaque » au lieu de « ciboire », « crime » et « crimebine » au lieu de « crisse », et la liste est longue.

Sacrer est péché?

Lorsque ma plus vieille fille était encore bébé, alors que nous prenions une marche en poussette, un des voisins de mes parents est venu voir la petite et, voyant les moustiques dans la figure de ma fille, s’avança près d’elle pour les enlever, lui disant, d’un ton tout ce qu’il y a de plus attendrissant : « C’est pas drôle, hein, les crisses de mou-mouches? » J’en ris encore après 19 ans! Dans cette circonstance, j’ai peine à croire qu’il s’agisse d’un péché mortel. Bien sûr, même si la pratique religieuse n’est plus ce qu’elle était, il reste que les sacres relèvent encore du sacré qui est encore bien ancré dans la mentalité des gens. L’usage outrancier du sacre dans une conversation n’est pas très bien vu, surtout en public, et révèle parfois un manque d’éducation. Mais j’avoue que lorsqu’on se fait mal ou que le CH se fait compter un but durant les séries, je viens en « tabarnak »! Il faut aussi reconnaître le fantastique pouvoir intégrateur du sacre chez les immigrants; j’entends fréquemment des jeunes issus de la communauté immigrante faire usage du sacre pour prouver leur intégration à notre société. Peut-être faudrait-il trouver mieux, mais en attendant, ça fait la « job »…

Liste des sacres les plus communs au Québec (et le nom d’où il origine) :

  • Crisse (Christ)
  • Câlisse (calice)
  • Ciboire (ciboire)
  • Tabarnak (tabernacle)
  • Ostie (hostie)
  • Calvert (calvaire)
  • Sacrament (sacrement)

Liens:

– fr.wikipedia.org/wiki/Sacre_qu%C3%A9b%C3%A9cois

– jackaimejacknaimepas.blogspot.ca/2010/04/le-sacre-ou-le-juron-quebecois-comme.html

Source photo : tropweird.com

 

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