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L’Ordre du Temple Solaire : Les massacres et controverses d’un ordre chevaleresque

Un des éléments fascinants avec les sectes est qu’elles ne se décrivent pas comme telles. Parlez à un dirigeant d’une secte connue et il vous répondra probablement que son groupe est composé de gens volontaires se rassemblant afin de vaquer à des occupations spirituelles et positives. Pourtant, ce genre de regroupements peut être extrêmement dangereux, les membres les composant étant bien souvent vulnérables et prêts à obéir à n’importe quel ordre de leur gourou. Parmi les exemples les plus éloquents se trouve l’Ordre du Temple Solaire, qui a suscité énormément de controverse et qui fut responsable de grands massacres au Québec comme en Suisse.

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Les fondateurs de l’Ordre

L’Ordre du Temple Solaire fut fondé en 1984 par trois hommes aussi charismatiques que brillants. Le premier fut Luc Jouret, médecin charmeur mais controversé, se spécialisant dans l’homéopathie (qu’il croit être reliée au cosmos) et ayant un penchant pour les médecines alternatives. En outre, Jouret s’intéresse aux thérapies macrobiotiques et iridiologiques. Il se fascine également pour les guérisons réalisées à mains nues par des guérisseurs philippins qu’il a rencontrés à plusieurs reprises lors de ses voyages.

Le second homme fut Joseph di Mambro, un bijoutier d’expérience ayant tout de même été condamné à six mois de prison pour escroquerie. Dès les années 50, di Mambro commence à pratiquer le spiritisme. Au fil des ans, il acquiert la conviction qu’il possède des dons surnaturels et qu’il est tout bonnement un médium.

Le troisième et dernier fondateur de l’Ordre fut Michel Tabachnik, chef d’orchestre et grand compositeur reconnu à travers le monde. Il sera le seul gourou de la secte à survivre et à être jugé.

Les débuts de l’Ordre

En 1977, les routes de di Mambro et Tabachnik se croisent et auront un impact majeur sur la vie de bien des gens. Grand adepte de philosophie, d’ésotérisme et de spiritualité, Tabachnik suit les traces de di Mambro avant que ce dernier ne fonde un regroupement du nom de Golden Way, dont Tabachnik deviendra le président en 1981.

Parallèlement, Luc Jouret rejoint lui aussi un regroupement dont il deviendra le dirigeant. Ainsi, en 1983, Jouret prend la place de Julien Origas à la tête d’un ordre fondé par d’anciens membres de l’AMORC, une association mystique non sectaire et non religieuse toujours en activité et comptant, à ce jour, 250 000 membres dans le monde entier. Cependant, la nomination de Jouret ne fait pas l’unanimité, créant ainsi des divergences dans les rangs. De ces querelles naîtra un nouvel ordre chevaleresque portant le nom de Tradition Solaire, que guidera évidemment Jouret.

Jouret ayant rencontré di Mambro vers la fin des années 70, les trois hommes viennent à faire connaissance et proposent de mettre en commun leur savoir afin de mettre sur pied un nouveau regroupement. En 1984, l’Ordre du Temple Solaire, qui se définit comme un ordre néo-templier, est créé. Di Mambro se chargera des finances, Tabachnik des écrits et Jouret des conférences, des relations publiques et du recrutement. D’ailleurs, Jouret a des critères spécifiques quant à ceux pouvant joindre les rangs de l’Ordre : être bien nanti, être bien établi dans son domaine et, surtout, être manipulable à souhait. Si vous avez le moindre caractère ou contestez, vous êtes exclu, point final.

Les croyances de l’Ordre

Afin d’avoir une quelconque influence sur ses membres, l’Ordre doit avoir de solides préceptes sur lesquels s’appuyer. Mettant à profit leurs connaissances de même que leurs croyances occultes, Jouret, di Mambro et Tabachnik développent des règles qui, bien entendu, seront inspirées de principes d’autres ordres ou religions.

L’une des croyances fondamentales de l’Ordre du Temple Solaire fut empruntée au groupe Heaven’s Gate voulant que l’esprit voyage de planète en planète après la mort. Nommé « transit », cet état représente le voyage de l’âme d’une planète à l’autre après un suicide. On enseignait aussi l’importance que le « germe de vie » soit transporté sur une autre planète après la mort. Bref, pour l’Ordre, l’esprit ne mourait pas, il effectuait plutôt un voyage spatial après que la personne s'est enlevée la vie.

Les gourous de l’Ordre basent également plusieurs de leurs enseignements à partir des écrits de Tabachnik réunis sous la collection « Les Archées », livres de savoir destinés aux plus hautes sphères de l’Ordre. Ainsi, l’association se regroupe autour de trois principes fondamentaux, soit :

– Reconnaître et rassembler une élite spirituelle afin de la préparer à participer à des travaux dont le but est de perpétuer la conscience et la vie dans le temps et l’espace. Tout cela n’est possible qu’en s’investissant dans les Hautes Sciences de l’Ordre.

– Prendre une part prépondérante et active à l’édification des Centres de Vie de l’Ordre.

– Former, à travers le monde, une chaîne de fraternité véritable au service des forces positives et du Temple unifié, le tout étant constitué par l’Ordre.

Les « miracles » de l’Ordre

Rapidement, l’Ordre acquiert de plus en plus d’influence et séduit des personnes qui y voient un espoir d’accéder à une forme de conscience supérieure. Cependant, nul n’est autorisé à critiquer ce que leurs supérieurs leur inculquent. Si on vous dit que tel principe ou telle philosophie de vie est vrai, c’est qu’il l’est. Et si on vous dit de commettre telle action puisqu’elle est conforme aux principes de l’Ordre, vous devez obéir. La hiérarchie est absolue et la contestation est proscrite.

Afin d’asseoir leur influence sur leurs membres, les dirigeants de l’Ordre du Temple Solaire s’adonnent non seulement à de grands discours, mais aussi à des cérémonies au sein desquelles des miracles se produisent. Usant d’effets spéciaux à outrance, les fondateurs de l’Ordre de même que les maîtres de cérémonies matérialisent toutes sortes de choses. On rapporte notamment que des maîtres spirituels, le Saint Graal, les apôtres et même le Christ sont apparus dans les salles où se tenaient les messes. Les adeptes n’y ont vu que du feu, cela ne faisant que renforcer leur conviction à l’effet que leurs dirigeants avaient des pouvoirs magiques et des liens avec des puissances surnaturelles.

Un autre enseignement donné aux adeptes est celui qu’ils assisteront à la naissance d’un « enfant cosmique », un bébé qui aura des facultés uniques et qui sauvera le monde. Tout comme Jésus, cet enfant naîtra d’une mère sans que cette dernière n'ait eu de relation sexuelle.

Afin de concrétiser leurs dires, les gourous de l’Ordre repèrent Dominique Bellaton, une jeune femme ayant rejoint les rangs de l’Ordre à la demande de ses parents. Toxicomane recherchée par des proxénètes, Bellaton tombe sous l’emprise de Joseph di Mambro, qui désire en faire la mère porteuse de l’enfant cosmique.

Organisant une cérémonie dans la crypte de l’Ordre avec, une fois de plus, d’importants effets spéciaux, di Mambro convainc ses adeptes que Bellaton est la mère de l’enfant que la secte attend. En outre, alors que la jeune femme est couchée sur une table, on fait apparaître au-dessus d’elle une épée touchant son ventre et de laquelle surgit un éclair de lumière. Puis, on annonce que Bellaton est enceinte, ce qui confirme une fois de plus aux membres de l’Ordre que ses dirigeants ont des pouvoirs surnaturels.

Dans les faits, il n’y avait absolument rien de magique dans tout cela. Même s’il martelait qu’il s’agissait là d’une « conception théogamique » (une grossesse sans rapport sexuel), di Mambro avait fait de Bellaton sa maîtresse et cette dernière était enceinte de plusieurs semaines avant la cérémonie. L’enfant « miracle » naîtra tout de même le 22 mars 1982, mais ne survivra pas à la première vague de massacres de l’Ordre.

Le premier massacre

L’Ordre du Temple Solaire avait élu domicile non seulement en Suisse, mais aussi au Québec. Le 30 septembre 1994, on retrouve cinq cadavres dans un chalet incendié de la région de Morin Heights. Trois personnes ont été poignardées tandis que les deux autres, qui ont commis les meurtres, se sont suicidées. Le chalet avait été brûlé grâce à des dispositifs déclenchés par téléphone.

Le 5 octobre 1994, en Suisse, 25 personnes sont retrouvées mortes dans la région de Salvan et 23 cadavres sont découverts sur une ferme du canton de Fribourg. Parmi les cadavres se trouvent Dominique Bellaton et « l’enfant cosmique » de même que Luc Jouret et Joseph di Mambro, deux des trois dirigeants de la secte. La plupart des victimes sont recouvertes d’une cape rituelle blanche, noire ou dorée, la couleur représentant leur niveau d’initiation dans l’Ordre. Les 25 personnes retrouvées à Salvan sont mortes des suites d’un poison qu’elles se sont ou qu’on leur a injecté. Quant aux morts de la ferme du canton de Fribourg, 20 victimes sont mortes d’une ou plusieurs balles à la tête (on en a retrouvé 65 dans les corps) et 2 ont été étouffées par un sac de plastique autour de leur tête. La dernière est probablement décédée de la même façon, même si on n’a pu s’en assurer. Traitée comme un suicide collectif, l’affaire soulève une grande controverse lorsque le juge André Piller ordonne la destruction des lieux afin de ne pas « choquer les croyants et attirer les foules ».

Cette première vague de massacres fait donc 53 victimes. Or, le but de l’Ordre était d’assassiner 54 personnes. En effet, selon le témoignage de Thierry Huguenin, ancien adepte de l’Ordre qui avait quitté le groupe avant le massacre, des membres de l’Ordre lui auraient demandé de se rendre à Salvan le 4 octobre en lui promettant que l’argent qu’on devait lui rembourser lui serait remis à ce moment. Pressentant un danger, il ne s’est jamais rendu à destination. Selon Huguenin, le plan de l’Ordre était de l’assassiner afin de porter le nombre total de victimes à 54, référence aux 54 chevaliers de l’Ordre du Temple mis à mort sur le bûcher le 18 mars 1314.

Le second massacre

La nuit du 15 au 16 décembre 1995 est elle aussi tachée du sang des membres de l’Ordre : 16 personnes, dont 3 enfants de 2, 4 et 6 ans, sont brûlées dans une clairière du plateau du Vercors, en France. Fait troublant : les corps sont disposés en cercle. En effectuant leur enquête, les policiers déterminent que 14 personnes ont été droguées à l’aide de sédatifs puis tuées par une ou deux balles de calibre .22 avant d’être carbonisées. Les exécuteurs se sont aspergés de combustible avant de se tirer une balle dans la tête à l’aide d’un pistolet 9 mm.

Le troisième et dernier massacre

Le dernier massacre de l’Ordre eut lieu au Québec à Saint-Casimir. Ainsi, le 22 mars 1997, cinq membres de l’Ordre sont retrouvés morts. Les policiers ont toutefois la surprise de découvrir trois adolescents encore vivants, ces derniers ayant survécu puisqu’ils ont négocié leur droit de vivre avec leurs parents.

Les acquittements de Tabachnik et les controverses derrière les massacres

Les massacres ayant défrayé les manchettes, les policiers procèdent au démantèlement de l’Ordre avant que d’autres atrocités ne soient commises. En 1997, Michel Tabachnik est arrêté puis amené en procès, étant le seul et unique dirigeant de l’Ordre à avoir survécu. Tabachnik fait valoir, notamment à travers un récit, qu’il a été pris au piège par l’Ordre et qu’il n’est en rien responsable des massacres commis par la secte. En 2001, le tribunal correctionnel de Grenoble l’acquitte au bénéfice du doute.

Cependant, le ministère public français n’est pas satisfait de ce verdict. Il porte la cause en appel en déclarant que Tabachnik a sa part de responsabilité dans tout cela puisqu’il a rédigé des écrits ésotériques et poussé ses adeptes à se suicider pour effectuer un transit vers la planète Sirius. Tabachnik est de nouveau jugé en 2006, mais le juge en charge du dossier n’a aucune peine à retenir contre l’homme. En outre, on fait valoir que Tabachnik n’était pas un membre actif de l’Ordre et que « sa responsabilité dans les décès n’a pas été clairement établie ». Il est de nouveau acquitté en décembre 2006.

Cela dit, une controverse existe quant à l’essence des massacres. S’il apparaît évident pour plusieurs qu’il s’agit de suicides collectifs, d’autres évoquent plutôt la possibilité qu’il s’agisse de meurtres collectifs. Par exemple, lors du massacre de 1995, on soulève le fait que du phosphore a été retrouvé sur les lieux et qu’un lance-flammes aurait été utilisé. De ce fait, on parlerait davantage d’une mise en scène où des personnes en ont tué d’autres que de personnes qui se seraient enlevées la vie en groupe.

On a aussi évoqué l’hypothèse que certains dirigeants de l’Ordre, dont di Mambro, avaient des liens étroits avec la mafia et que des hommes de pouvoir ont cherché à détruire des pièces à conviction afin de ne pas plonger le monde politique dans l’embarras si on avait trouvé des liens entre certains politiciens et l’Ordre. Un texte attribué à l’épouse de di Mambro aurait aussi été retrouvé lorsque des fouilles au chalet de ce dernier ont été effectuées. Elle y accusait Luc Jouret d’être le grand responsable de ces massacres et que di Mambro n’avait rien à y voir.

Quoi qu’il en soit, l’Ordre du Temple Solaire a réussi à convaincre des centaines d’adeptes du bien-fondé de sa mission. Ayant semé profondément l’idée qu’il était possible de trouver une meilleure vie après la mort dans l’esprit de personnes mentalement plus fragiles ou en quête d’espoir, les dirigeants de l’Ordre ont réussi à les pousser jusqu’à l’inévitable, en maquillant leurs activités sous des capes, des épées et des pratiques semblables à celles du Moyen Âge.

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